« Boulghraib !!! Boulghraib !!!! » . La voix qui m’interpellait ainsi depuis la fenêtre de ma chambre, par cet après midi torride du mois de juillet, était plus souvent annonciatrice de coups foireux que de réelles opportunités. Je me levais de mauvaise grâce et entrouvris la fenêtre de ma chambre, l’humeur contrariée. « Ach bghiti a Ttir ? 3aoutani chi hamza khaouiya ? »
Abdallah, la quinzaine robuste et joviale, était le plus jeune ouvrier de la ferme. Il mettait tant d’entrain dans tout ce qu’il faisait, qu’il était rare de le voir marcher, optant plutôt pour la petite foulée, quand ce n’était le pas de course, pour le moindre de ses déplacements.
Dès ses premières journées à la ferme il fût surnommé par ses collègues Ttir, pour sa tendance naturelle et irrépressible à sauter men lmeqla. Ne s’en formalisant aucunement, il confirmait chaque jour sa réputation mercurienne, marquant souvent ses démarrages en trombe par un retentissant « grandyser Intaliiiiiiiqqqqq !!!!! ».
C’est un Ttir particulièrement excité que je découvris en ouvrant la fenêtre. « Boulghraib ! Boulghraib ! Khrouj ngoullik », répétât-t-il, soulignant le surnom qu’il m’avait donné, en raison de mon goût prononcé pour les gadgets électroniques.
Il m’expliqua, décousu, qu’en s’affairant à la frontière sud de la ferme, là où un petit bois d’Eucalyptus séparait nos terres de celles des voisins, il avait été intrigué par un bourdonnement sourd jaillissant des arbustes épineux. En furetant, il avait découvert une vieille boite métallique à outils, où s’était établie une colonie d’abeilles.
Pour le fougueux Ttir, il n’y avait pas à hésiter. Nous devions «rapatrier» cette ruche de fortune, qui devait, assura-t-il déjà un goût de miel à la bouche, nous rapporter une jolie somme. Je restais circonspect, habitué que j’étais aux projets boiteux de cet énergumène. Je me laissais néanmoins convaincre de l’accompagner, séance tenante, pour vérifier de visu l’existence du trésor. J’aurais mieux fait de m’en abstenir.
La boîte à outils s’avéra de bien plus grandes dimensions que je ne l’avais imaginé. Des abeilles par dizaines atterrissaient et décollaient de cette base bourdonnante enfouie au milieu des arbustes épineux. « 3rafti a Boulghraib, daba rah lmalika dial nhel jate lehna ou jbouha rahoum 3amrine bel 3ssel Lhorr ». Et d’ajouter qu’il nous suffisait de revenir à la tombée de la nuit, d’envelopper la ruche dans un plastique pour nous préserver des abeilles et de la déplacer à l’autre bout de la ferme, là ou personne ne risquait de nous dérober « notre » bien. Après on ferait appel à un spécialiste qui se chargera de récolter le bon miel pour nous. Les risques ? Aucun !!! Assura Ttir, expliquant que « Nhel tay ne3ssou bellil hite ma taychoufou oualou ».
Je devais également avoir un goût de miel à la bouche... Nous entreprîmes sur le champ de dégager, aussi discrètement que possible, l’accès à la ruche que nous devions emprunter lors de l’opération de kidnapping. De retour à la maison, nous fixâmes rendez-vous le soir même. Comme il ne fallait éveiller aucun soupçon, Abdallah partit chez lui comme à l’accoutumée au terme de sa journée de travail. Vers 21h00, trois sifflets brefs m’annoncèrent qu’il m’attendait comme convenu non loin du terrain des opérations. Je pris une lampe torche, dérobais une nappe de table en plastique destinée à envelopper la ruche et me rendis discrètement au lieu du rendez-vous.
Tout se passa assez vite. L’accès à la ruche était dégagé et les abeilles semblaient effectivement endormies. Nous enveloppâmes avec mille précautions la boite à outils de la nappe de table, la soulevâmes comme une bombe à retardement et entreprîmes le périlleux voyage de retour.
Selon le mode opératoire convenu, Ttir devait se charger de porter la ruche pendant que j’assurais l’hermétisme de l’enveloppe en plastique. Il en fût ainsi. Le sommeil des abeilles n’était manifestement pas aussi profond que nous l’aurions souhaité. Au bout d’une trentaine de mètres, une agitation de plus en plus inquiétante nous parvint à travers la nappe. Ttir , nettement moins assuré, lâchait de répétitifs « Ahyaaaa ?! » en pressant le pas. Je n’étais pas plus rassuré.
Le coup foira en un éclair ! Une abeille plus entreprenante que les autres se fraya un chemin à travers l’enveloppe en plastique, se dégagea et s’abattit sur l’oreille gauche du pauvre Ttir, dard en avant ! Le pauvre garçon hurla un « wil bouhaaaaa ! 3addatni », jeta à terre la bombe à retardement et pris ses jambes à son cou, omettant cette fois-ci son habituel « Grandyser intaliiiiqqqq !!!». Je l’imitais quelques secondes plus tard, battant à coup sûr mon record personnel du 100 mètres, pendant que la boite à outils roulait par terre, s’ouvrait et déversait dans la nature un essaim d’abeilles furieuses.
Nous volâmes en direction de la maison, les bras gesticulant hystériquement au dessus de la tête. Vains efforts ! Une horde déchaînée d’abeilles nous localisa par quelque radar nocturne encore inconnu des entomologistes, fonça sur nous et nous fit passer à jamais le goût du miel. Quand nous nous enfermâmes enfin, hors d’haleine, dans la grange, nos troupes revendiquaient une bonne dizaine de piqûres concentrées avec une précision chirurgicale sur les mains et les oreilles !
Nous en étions encore à apaiser le feu des dards, quand un «malkoum ?????» jaillissant de la pénombre, nous acheva. Catastrophe ! C’était la cousine Hasna, une peste de dix printemps à peine, surnommée « annachra assari3a », en raison de la vitesse supersonique à laquelle elle rapportait tous les faits de la ferme à ma mère !