L’Agba Lupin
Je suis tombé amoureux à la minute ou je l’ai vue. Toute en courbes, majestueuse, noire, étincelante ! Je l’ai désirée de toute la fougue de ma passion. Je retins à grande peine mes mains baladeuses, mes doigts fureteurs, jaugeant du coin de l’œil, la probable réaction de mon père.
Elle détrôna au premier regard toutes les campagnes de mes nuits de débauche passionnée et devait régner, pour de longs mois, en maîtresse absolue. Dans mes fantasmes les plus fous, je n’avais jamais osé imaginer partager le même toit que cette merveille. Il me la fallait ! A tout prix ! J’allais pour cela, comme tous les amoureux transis, développer des trésors d’ingéniosité, qui, aujourd’hui encore, me font vibrer.
La nouvelle chaîne Hi-fi de mon père conquit mon âme de mouasqui dès qu’elle montra un bout de bouton de son imposant carton !
Mon père, que Dieu ait son âme en sa sainte miséricorde, juge de son état, doublé d’un grand amateur de séries noires et de films policiers, cultivait la passion du détail. Une longue pratique des instructions judiciaires, quelques centaines de romans policiers dévorés au rythme d’un par jour et un regard calme et direct, qui vous faisait passer aux aveux avant même d’avoir pensé oser le délit, lui valaient une redoutable et avérée réputation d’efficacité dans la résolution des énigmes les plus hermétiques. Autant d’obstacles monumentaux auraient dû refroidir mes ardeurs. Mes nuits quasi-blanches à rêver aux charmes de la belle, m’ont donné le courage de passer outre.
J’imaginai, fiévreux, un plan machiavélique pour jouir des faveurs de mon élue, et le mis à exécution le cœur battant la chamade. A cette époque-là, mon père, exerçant à quelque 800 kilomètres de la ferme familiale, s’absentait vingt jours par mois. L’objet de mes convoitises devait passer cette période, hors de l’atteinte de quiconque, enfermé à double tour dans la bibliothèque paternelle.
Je résolus donc, complètement obnubilé par les nuits de tmousiqua qui m’attendaient, de piquer les clés de la citadelle, de l’ouvrir la veille du départ de mon père et de jouir de mon trophée de guerre, toutes les nuits des 19 jours restant.
Subtiliser le trousseau de clés et ouvrir, n’était pas chose difficile. Masquer toute trace du crime aux yeux exercés de mon géniteur était une toute autre affaire. J’avais dévoré, également en douce la quasi-totalité de la même collection de séries noires. Je mis donc leur enseignement en pratique. Dès la première nuit suivant le départ de mon père – je ne pouvais bien entendu pas procéder à la lumière du jour, ma mère étant aussi intraitable que mon père sur l’usufruit du bien d’autrui – je me glissai bloc note a la main dans la chambre à la bibliothèque. J’ouvris, le cœur battant, les portes de Troie et notais soigneusement la disposition de chaque bouton, la graduation qu’il indiquait, la position du curseur de la radio, la distance entre le coté droit de la chaîne et la cloison, la même mesure pour le coté gauche, la disposition des enceintes, leurs coordonnées exactes, le nombre de boucles que faisaient les fils de raccordement, leur position exacte sur l’étagère, l’orientation de la prise de courant et une foule d’autres détails.
En bon fils de mon père, je poussai le soin plus loin. Je pris la chaîne, émerveillé pour la première fois entre mes bras, la déposai délicatement sur la moquette, découpai une feuille de papier à l’exacte mesure de sa base et la collai avec soin à l’endroit précis où était entreposée ma belle, afin que les dépôts d’une éventuelle poussière puissent se faire normalement tout en préservant l’espace qu’aurait dû masquer l’objet de mon larcin.
La belle prit alors la direction de ma chambre pour que commencent, chaque soir, dès que ma mère se laissait aller au sommeil du juste, mes débauches musicales casque à l’oreille.
La veille de chaque retour de mon père, tout rentrait dans l’ordre et la bibliothèque était de nouveau fermée dès que j’entrais en possession du trousseau de clés, en attendant des jours plus favorables.
Mon manège dura plusieurs mois. Jusqu’à ce que la passion se consuma.
Je ne devais apprendre que des années plus tard que mes parents s’amusaient en privé de mes … prouesses. Je me creuse encore les méninges pour trouver ce qui avait mis la puce a l’oreille de Monsieur le Juge … Allah y rahmek ou y ousse3 a3lik a loualid.